"Elégie"
J’étais à toi peut-être avant de t’avoir vu.
Ma vie, en se formant, fut
promise à la tienne ;
Ton nom m’en avertit par un trouble imprévu,
Ton âme
s’y cachait pour éveiller la mienne.
Je l’entendis un jour, et je perdis la
voix ;
Je l’écoutai longtemps, j’oubliai de répondre.
Mon être avec le
tien venait de se confondre,
Je crus qu’on m’appelait pour la première
fois.
Savais-tu ce prodige ? Eh bien, sans te connaître,
J’ai deviné
par lui mon amant et mon maître ;
Et je le reconnus dans tes premiers
accents,
Quand tu vins éclairer mes beaux jours languissants.
Ta voix me
fit pâlir, et mes yeux se baissèrent ;
Dans un regard muet nos âmes
s’embrassèrent ;
Au fond de ce regard ton nom se révéla,
Et sans le
demander j’avais dit : Le voilà !
Dès lors il ressaisit mon oreille
étonnée ;
Elle y devint soumise, elle y fut enchaînée.
Comme un timbre
vivant, l’écho du souvenir
Appelait par ton nom l’écho de l’avenir.
Je le
lisais partout, ce nom rempli de charmes,
Et je le relisais, et je versais
des larmes.1
D’un éloge enchanteur toujours environné,
À mes yeux éblouis
il s’offrait couronné.
Je l’écrivais… bientôt je n’osai plus l’écrire,
Et
mon timide amour le changeait en sourire.
Il me cherchait la nuit, il berçait
mon sommeil ;
Il résonnait encore autour de mon réveil ;
Il errait dans
mon souffle, et lorsque je soupire
C’est lui qui me caresse et que mon cœur
respire.
Nom chéri ! nom charmant ! oracle de mon sort !
Hélas ! que
tu me plais, que ta grâce me touche !
Tu m’annonças la vie, et, mêlé dans la
mort,
Comme un dernier baiser tu fermeras ma bouche.
Marceline Desbordes Valmore
Source "Le printemps des poètes"